Note: Le mode examen a depuis été repoussé en 2019
Ce n'est désormais plus un secret dans le milieu puisqu'il en est question dans nombres de salles des profs et même en dehors sur nombre de salons.
La circulaire réglementant l'utilisation des calculatrices aux examens et concours est sur le point d'évoluer et une annonce serait imminente, un de ces quatre jeudis au Bulletin Officiel.
Nous n'avons pas le détail du texte, mais les candidats devraient obligatoirement disposer d'un modèle muni d'un mode examen et d'une diode permettant d'en vérifier le bon fonctionnement, fonctionnalités déjà introduites sur la toute dernière
TI-83 Premium CE qui vient d'être annoncée pour la rentrée 2015, ainsi que possiblement sur les
TI-84 Plus CE-T prévues pour les autres pays européens.
Ce serait l'aboutissement des trois pistes de recherche qui avaient été
présentées aux syndicats enseignants en mai 2012 :
- Interdiction totale de la calculatrice pour toute épreuve et tout examen et concours
- Limitation des machines en publiant une liste de calculatrices autorisées.
- N’autoriser qu’un type de calculatrice dont on pourrait neutraliser tout ou partie des fonctions et ainsi en limiter la mémoire. L’examinateur pourrait contrôler facilement la neutralisation (une diode lumineuse clignotante, dite « fonction examen » lorsque le matériel est neutralisé ; obligation de passer par un ordinateur pour débloquer le matériel après les épreuves d’examen).
Ce serait donc la piste n°3 qui aurait été retenue au final par l'Institution.
Le mode examen tel que mis en œuvre sur la TI-83 Premium CE consiste en un effacement total de la mémoire.
A l'exception des applications développées et intégrées ou préchargées par le constructeur, toute donnée que le candidat aurait pu injecter avant son épreuve est donc irrémédiablement détruite.
Le texte ne serait applicable qu'à compter de la session 2018, ce qui éviterait aux lycéens ayant déjà acheté une calculatrice graphique cette année en Seconde, d'avoir à changer de modèle d'ici leur BAC en 2017. Par contre, nous leur conseillons fortement de ne pas redoubler et de le réussir du premier coup...
Bref, une nouvelle règlementation destinée à combattre l'utilisation d'anti-sèches électroniques dans les calculatrices autorisées, et à remettre tous les candidats à égalité.
C'est beau sur le papier... Sauf que non, en pratique c'est du n'importe quoi.
Nous n'avons rien à reprocher aux constructeurs de calculatrices TI/Casio/HP qui sont dans leur rôle.
Mais que des responsables apparemment très compétents aient pu valider une telle chose au nom de l'égalité est effrayant.
Car si la communauté des développeurs de programmes pour calculatrices graphiques avait été associée à l'élaboration du projet, nous n'en serions pas aujourd'hui à la veille d'une telle aberration.
Cette communauté oubliée par l'Institution, constituée d'ingénieurs, développeurs, enseignants, étudiants et lycéens passionnés, a œuvré pendant plus de 20 ans et donc dès le siècle dernier, bien avant TI-Planet, pour la réussite des élèves et étudiants.
Elle a produit nombre de programmes, souvent catégorisés de fait sous licence libre puisque le code est fourni et modifiable.
Avec le mode examen, tous les programmes et applications publiés sur TI-Planet (et ailleurs) deviennent désormais inutilisables.
Le constructeur qui disposait déjà d'un contrôle sur le matériel, gagne désormais un contrôle total sur le logiciel qui a le droit d'être utilisé en examen ou pas, sur lequel il devient seul décideur.
Dans un marché qui avait déjà une tendance oligopolistique, ce monopole sur le logiciel de chaque marque n'est pas une bonne nouvelle pour l'innovation et pour l'utilisateur, mais nous laisserons ceux baignant davantage dans la communauté du logiciel libre argumenter sur ce point peut-être plus "philosophique".
Nous en arrivons au cœur du problème en ce qui nous concerne : il y a eu, peut-être pour ne fâcher aucun des intervenants, une grosse déviance par rapport au projet initial de 2012.
Ce dernier parlait en effet de n'autoriser
"qu'un type de calculatrice", et dans ce cas nous n'aurions pas obligatoirement protesté puisque tout-le-monde aurait été à égalité. Or là, tous les modèles disposant d'un mode examen permettant d'effacer la mémoire et d'allumer une diode seraient autorisés.
Et la voilà la belle bêtise... Les modèles de calculatrices graphiques présents sur le marché ont des capacités très variables, et divers défauts :
- Contrairement à tous les autres modèles, la Casio Graph 25+Pro ne gère pas les matrices.
- Les Casio Graph 25+Pro et Graph 35+USB contrairement aux Graph 75/95 et aux TI/HP n'incluent pas de feuille de calculs
Dans un contexte où les questions de feuilles de calculs sont devenues un incontournable au DNB et au BAC technologique, et sont tombées pour la première fois au BAC général en 2014 ! - Contrairement aux Casio qui font ça très bien, les TI ne permettent de définir les suites récurrentes qu'au rang n (alors que les livres les donnent au rang n+1) et les dernières HP n'accepte qu'un terme initial de rang 1 (alors que les livres les donnent presque toujours chez nous au rang 0)
Le candidat doit donc effectuer des opérations mathématiques supplémentaires pour convertir sa définition de suite récurrente papier en une définition équivalente acceptable par sa calculatrice, conversion au cours de laquelle il peut introduire nombre d'erreurs ! - Des applications officielles de tableau périodiques des éléments sont disponibles ou intégrées chez TI et sur les Casio de milieu et haut de gamme, mais pas sur les Casio Graph 25+Pro et 35+USB ni sur les HP.
- Les Casio calculent correctement les quartiles selon leur définition actuelle dans les programmes de l'enseignement secondaire. Ce n'est pas le cas des TI/HP.
- Les HP-Prime disposent d'origine d'un solveur de triangles, absent de tous les autres modèles.
- Les TI-Nspire disposent également d'origine d'un traceur de graphes 3D, absent des autres modèles.
- Les modèles haut de gamme disposent de moteurs de calcul formel absent des modèles d'entrée et de moyenne gamme.
- ...
Alors certes, nous n'avons pas encore les nouvelles Casio/HP de la rentrée 2015 pour comparer, mais nous ne voyons aucune raison pour que les larges disparités qui persistent aujourd'hui entre les différentes marques de calculatrices graphiques après plus de 20 ans d'existence, disparaissent aussi soudainement.
On peut certes supposer que les constructeurs de calculatrices suite à l'adoption de leur mode examen, fassent un petit effort de développement et prennent mieux en compte les besoins français. Cela sera-t-il durable ? Est-ce une relation saine ? Nous ne le pensons pas.
Quel problème vient donc introduire le mode examen là-dedans au soi-disant nom de l'égalité ?
Et bien l'offre de programmes et applications disponibles sur Internet a toujours œuvré pour rétablir l'égalité entre les modèles commercialisés.
- Il existe des moteurs de calcul formel permettant de bénéficier de ces fonctionnalités haut de gamme sur les calculatrices non formelles Casio Graph 35+USB/75/85/95.
- Il existe des programmes de tableaux périodiques des éléments pour HP-Prime.
- Il existe des utilitaires permettant de définir naturellement les suites récurrentes sur les TI-82/83/84.
- Il existe des programmes permettant de calculer correctement les quartiles sur les TI.
- Il existe des solveurs de triangles, plus ou moins aboutis sur les différents modèles autres que les HP-Prime.
- Il existe des traceurs de graphes 3D, là encore plus ou moins aboutis sur d'autres modèles que les TI-Nspire, et notamment pour HP-Prime.
- ...
Nous pourrions multiplier les exemples à l'infini, tellement l'offre de programmes et applications est riche.
Au final, le mode examen dans la forme sous laquelle on le voit se profiler à l'horizon combat l'égalité, car il interdit, bêtement et aveuglément, les programmes communautaires qui visaient à la rétablir.
En gros, les candidats auraient droit uniquement à ce qu'il y avait dans leur calculatrice lors de son achat. Mais entre ceux qui auront choisi TI, Casio ou HP, entre ceux qui auront choisi d'investir 50€ ou 150€, les candidats ne seront pas à égalité.
Tout ce que fait cette nouvelle circulaire, c'est de remplacer une inégalité par une autre, qui est loin d'être meilleure selon nous.
Elle fait disparaître totalement l'offre, bien souvent bénévole et désintéressée, de programmes et applications en ligne, pour la remplacer par une dictature commerciale : si le candidat veut plus de choses, il devra opter, trois ans avant son examen en Seconde, pour une calculatrice plus chère. Et si il n'a pas fait preuve de suffisamment de recul lors de cet achat
(ce qui est fort probable), il devra se racheter une nouvelle calculatrice avant son examen. Le candidat n'aura désormais plus aucun moyen d'améliorer gratuitement sa calculatrice via de simples téléchargements de programmes.
On comprend clairement pour quelles raisons les constructeurs de calculatrices pourraient être favorables à cette réforme.
Peut-être nous opposera-t-on que les candidats pourront toujours améliorer leur modèle en téléchargeant des mises à jour et applications officielles publiées par le constructeur. Nous serions assez sceptiques là-dessus, au vu des dernières années. La communauté est capable de sortir des nouveautés quotidiennement. La productivité officielle est tout bonnement incomparable, avec de nouvelles applications et mises à jour extrêmement rares en comparaison et bien souvent mineures sans intérêt réel pour l'utilisateur. Une scolarité complète au lycée sans aucune mise à jour intéressante n'est pas une exception. Il faut souvent attendre plusieurs générations de bacheliers pour obtenir, peut-être, un téléchargement officiel moyennement intéressant.
On en arrive même à de véritables aberrations. Par exemple, les HP-Prime intègrent le moteur de calcul formel GIAC du logiciel Xcas. Ce moteur a justement fait l'objet d'un portage pour calculatrices TI-Nspire, un portage réalisé par l'auteur lui-même. Le même moteur est donc disponible sur ces deux modèles. Toutefois en mode examen, GIAC sera autorisé sur les HP-Prime et pas sur les TI-Nspire, au seul motif que le portage TI-Nspire n'est pas officiel
(pas de contrat entre l'auteur et le constructeur contrairement à la HP-Prime).
Nous ne cherchons pas à nous opposer. L'Institution souhaite introduire un mode examen ? Très bien - il ne nous faut pas plus de quelques minutes pour trouver nombre de pistes permettant de l'introduire sans fouler du pied l'égalité républicaine :
- Comme déjà évoqué plus haut, n'autoriser qu'un seul modèle de calculatrice - tous les candidats seront donc confrontés aux mêmes avantages ou défauts, et donc à égalité.
- Au lieu d'effacer toute la mémoire, limiter la mémoire utilisable en mode examen. Les candidats pourraient donc continuer à charger des utilitaires améliorant/uniformisant les capacités de leurs calculatrices, puisque ces derniers sont normalement petits, alors que des anti-sèches, surtout dans le cadre d'une utilisation excessive et immodérée par le candidat, nécessitent de la place, beaucoup de place...
Au vu des capacités des modèles actuels, on pourrait imaginer limiter la mémoire d'archive utilisable en mode examen à 1,5Mo.
Lors de l'activation du mode examen, le candidat serait invité à sélectionner jusqu'à 1,5Mo de données qu'il souhaiterait conserver afin de pouvoir y accéder pendant son épreuve, et ce choix ne serait plus modifiable jusqu'à la désactivation du mode examen.
Pour référence, Casio avait du produire une calculatrice Graph 85 spéciale pour les examens en Australie, introduisant une limitation de mémoire. La fx-9860G AU était en effet limité à 800 kilo-octets de mémoire d'archive, pour une capacité de 1,5 méga-octets utilisables sur le modèle équivalent Graph 85.
Il faudrait donc placer le seuil suffisamment bas pour interdire l'utilisation de la calculatrice en tant que machine anti-sèches, mais pas trop afin de ne pas bloquer les utilitaires communautaires.
Ce n'est pas bien éloigné de la solution actuelle - ce serait remplacer le seuil qui serait actuellement nul, par une valeur non nulle de quelques centaines de kilo-octets. Chaque candidat serait donc de la même façon à égalité, puisque disposant du même quota restreint de mémoire qu'il lui appartiendrait d'utiliser au mieux. - L'Institution pourrait avoir un droit de regard sur les programmes et applications autorisés en examen.
On pourrait imaginer que l'Education Nationale se constitue une cellule qui testerait programmes et applications lui étant soumis, aussi bien par les constructeurs que par les développeurs tiers, et leur décernerait un label dans le même style que le label RIP pour les logiciels (Reconnu d'Intérêt Pédagogique).
On pourrait imaginer que les différents utilitaires communautaires évoqués plus haut obtiendraient ce label, mais que les bêtes documents, formulaires et anti-sèches, ainsi que leurs lecteurs si approprié, se le verraient refuser.
Le constructeur de calculatrice concerné devrait alors apposer une signature électronique sur les programmes ou applications validées, signature qui interdirait leur effacement par le mode examen.
Ce n'est pas techniquement impossible, vu que c'est déjà en gros ce que fait Texas Instruments selon notre test, les applications préchargées dans la TI-83 Premium CE n'étant pas effacées.
Après, que l'Institution manque d'argent pour monter une telle cellule nous pouvons le comprendre - mais si l'on n'a pas l'argent pour faire une bonne réforme, mieux vaut prendre son temps et y réfléchir, plutôt que de se dépêcher de faire n'importe quoi n'importe comment.
Contactée et interrogée entre autres sur les points précédents, la DGESCO
(Direction Générale de l'Enseignement Scolaire) n'a pas su apaiser nos craintes dans sa réponse, bien au contraire.
C'est donc en désespoir de cause que nous portons aujourd'hui ce problème à l'attention du public.
Toutefois que l'on ne se méprenne pas - nous n'appelons pas à la désobéissance - si cette circulaire passe il faudra l'appliquer. Nous n'avons aucune sympathie envers la fraude, et aucun utilitaire pouvant possiblement interférer avec le fonctionnement du mode examen ne sera toléré sur TI-Planet, du moins tant que l'équipe actuelle sera aux responsabilités.
Nous implorons humblement l'Institution de bien vouloir cette fois-ci entendre raison, et revoir sa copie au nom des valeurs républicaines que nous partageons.
Références :Téléchargement : Lettre envoyée à la DGESCO à ce sujet - janvier 2015