

Rentrée 1991 pour notre plus grand plaisir,
Texas Instruments commençait sa formidable aventure dans le monde des calculatrices graphiques avec la
TI-81, partant donc d'un processeur 8 bits
z80 cadencé à
5 MHz, d'une
RAM de
8 Kio, d'une
ROM de
64 Kio, et d'un écran matriciel d'une définition de
96×64 pixels.
Cette toute première calculatrice graphique fut rapidement suivie de nouveaux modèles bénéficiant d'évolutions très significatives :
- dès la rentrée 1992 la légendaire TI-85, un modèle haut de gamme avec plein de fonctionnalités supplémentaires relatives aux mathématiques (complexes, vecteurs, intégrales, systèmes d'équations, racines de polynômes, arithmétique, fonctions polaires), aux sciences expérimentales (convertisseur d'unités, bibliothèque de constantes physiques) et à l'ingénierie (conversion de base, instructions de boucle pour les programmes) et niveau matériel le passage à un écran large défini en 128×64 pixels, à 32 Kio de RAM, à 128 Kio de ROM, ainsi que l'ajout d'un port de communication série mini-Jack 2.5mm

- à la rentrée 1993 la TI-82, un modèle de gamme inférieur avec des fonctionnalités resserrées autour des mathématiques de niveau lycée, même si on notait malgré tout une nouveauté logicielle majeure, la gestion des suites numériques, ainsi que sur le matériel l'accélération du processeur z80 à 6 MHz

Et puis, rentrée 1995 nous est arrivé un nouveau modèle extrêmement mystérieux... non, nous ne parlons pas aujourd'hui de la
TI-92 révolutionnaire, mais de la
TI-80, un véritable ovni.
Ce modèle d'entrée de gamme, nous pourrions même aller jusqu'à dire bas de gamme, perdait le port de communication, exhibait un écran d'une définition inédite que nous n'avons
(heureusement) plus jamais revue depuis,
64×48 pixels et... passait sur des piles bouton
(2 CR2032) comme une simple calculette.
En terme de fonctionnalités logicielles, la
TI-80 était proche de la
TI-81. Nous pouvions y retrouver de rares améliorations mineures développées avec les
TI-82/85, mais aussi y noter des suppressions majeures comme le calcul matriciel. La
TI-80 pouvait donc être vue comme une version allégée de la
TI-81.
Revenons sur le matériel. Niveau processeur, ce n'était même pas un
z80. Le site de
Texas Instruments avait indiqué à un moment un processeur propriétaire, dont la cadence ne se chiffrait même pas en
MHz,
980 KHz seulement.

Chose courante pour l'époque, le matériel de la
TI-80 s'articulait autour de 3 puces :
- SRM2264 : RAM de 8 Kio
- LH5359 : ROM de 64 Kio
- Toshiba T6M53A : par élimination, renfermait le mystérieux processeur
La puce
T6M53A n'a jamais été documentée publiquement par
Toshiba, mais les autres puces
T6M de ce fondeur disposent de
datasheets publiques indiquant qu'il s'agit de microcontrôleurs pour calculatrices scientifiques
(et non graphiques) à écran LCD 7 segments.

Dès les débuts de
TI-Planet en
2010, nous nous étions attaqués au
dumping de la
ROM 64Kio en extrayant et branchant la puce
LH5359 sur un programmateur compatible, pour découvrir au final :
- que seuls les premiers 32 Kio de la ROM contenaient des données utiles
- que le code machine récupéré semblait correspondre non pas à un processeur 8 bits mais à un processeur 4 bits de calculette
- que, bien que certains messages affichés par les menus de la TI-80 étaient présents en clair dans les données récupérées, d'autres en étaient au contraire absents...
Il nous manquait donc une partie du
firmware que faisait tourner la
TI-80. Et la seule autre puce pouvant contenir les données manquantes, était le microcontrôleur
Toshiba T6M53A.
En étudiant les
32 Kio de code machine que nous avions récupéré,
Randy Compton a développé une méthode de
dumping logicielle, permettant cette fois-ci de récupérer
48 Kio de données utiles. Le microcontrôleur
Toshiba T6M53A contenait donc une
ROM interne de
16 Kio.


Une méthode populaire permettant d'identifier les calculatrices utilisant des processeurs similaires, est le test dit de la signature trigonométrique. Il suffit de calculer en mode décimal et degrés
$mathjax$Arcsin\left(Arccos\left(Arctan\left(tan\left(cos\left(sin\left(9\right)\right)\right)\right)\right)\right)$mathjax$
.
Le résultat mathématique est de 9, mais le moteur de calcul flottant de nos calculatrices répond normalement une valeur approchante.
Plus précisément, le résultat dépend du cœur de calcul utilisé, qu'il soit logiciel ou matériel. Nos calculatrices récentes permettent parfois d'accueillir plusieurs logiciels de calcul, mais généralement plus une calculatrice est simple, plus les algorithmes de calcul reposeront sur les capacités précâblées dans le processeur, ce qui est notamment le cas des calculatrices graphiques du siècle dernier et calculatrices scientifiques entre autres.
Et justement, la
TI-80 répond
8.999999007884, alors que la
TI-81 trouve
8.999999616566. Or le logiciel
TI-80 étant comme nous avons vu une évolution directe du logiciel
TI-81, il semble donc ici que la différence soit due au matériel.
Et justement, la
TI-80 n'est pas la seule calculatrice à répondre très exactement
8.999999007884 au test. C'est également le cas des
TI-68 de 1989 et
TI Galaxy 67 de 1992.
Or selon le musée
Datamath, le processeur de la
TI Galaxy 67 nous est connu. Sa puce
Toshiba TMP0620F utilise un cœur
Toshiba TMC17C, une architecture 4 bits.
Hypothèse la plus probable à ce jour, le processeur de la
TI-80 serait donc un 4 bits
TMC17C de chez
Toshiba, cadencé à
980 KHz.
Pour résumer, qu'est-ce que la
TI-80 ? À la lumière de tout ceci nous pouvons répondre à la question.
Le cahier des charges défini par
Texas Instruments pour la conception de ce modèle semble avoir été d'offrir une calculatrice abordable, et tous les moyens possibles semblent avoir été déployés en ce sens.
Le logiciel
TI-80 semble être un portage du logiciel
TI-81, à de très rares améliorations ou suppressions près, mais pour une technologie 4 bits inférieure. Portage qu'il était sans doute encore envisageable d'effectuer rapidement à l'époque, vu la taille alors raisonnable du code.
La
TI-80 est donc la toute première calculatrice hybride : des fonctionnalités graphiques mais greffées sur une technologie de calculatrice scientifique, permettant un coût de fabrication moindre et par conséquent un positionnement en entrée de gamme avec le prix bas qui va avec.
Le microcontrôleur
T6M53A est donc probablement une édition spéciale de la série des
T6M conçu spécifiquement sur demande de
Texas Instruments, avec juste des capacités vidéo accrues pour gérer correctement les
3072 pixels de l'écran, en lieu et place de la petite centaine de formes habituelle
(les écrans des calculatrices scientifiques de l'époque comportant usuellement 8 à 12 cellules pouvant allumer chacune 8 formes : 7 segments plus 1 séparateur décimal).
Précisons que d'autres constructeurs reprendront par la suite cette idée de calculatrice hybride pas chère à fabriquer :
- nous pouvons citer pour le pire Lexibook avec par exemple la GC3000FR de rentrée 2017, ou encore la Esquisse GCEXFR par E.Leclerc pour la rentrée 2019, appartenant à une série bien plus large de machines en réalité conçues en Asie et commercialisées en démarqué auprès de marques peu regardantes - des machines développées rapidement sans véritable réflexion ni talent, en se contenant de reprendre et agréger sans cohérence des éléments matériels ou logiciels repris de vieilles calculatrices Casio, avec la constante d'être quasiment toujours ratées 👎
- ou encore l'exception qui confirme la règle, la Tianyan TY-TX800 de rentrée 2016, seule calculatrice hybride semblant avoir fait l'objet d'un développement autrement plus sérieux, les éléments logiciels ne nous semblant pas copiés sur Casio mais plutôt inspirés de Casio, quand ils ne nous étaient pas totalement inconnus jusqu'alors 👍
Rappelons que l'actualité est justement aux calculatrices hybrides en ce moment,
Casio étant en train de t'en concevoir une pour la rentrée 2024, la
Graph Light Lycée, mais avec un autre niveau de soin et talent cette fois-ci.

Adriweb a souhaité donner une toute nouvelle dimension à notre mission de documentation du formidable patrimoine éducatif développé par
Texas Instruments. Il a donné des exemplaires de différents modèles de calculatrices graphiques
TI, pour certaines en plusieurs exemplaires lorsqu'il y avait des révisions matérielles majeures, à
Boris Marmontel alias
TICS Game sur les réseaux sociaux, personne à l'origine du site
Onidev avec une section dédiée au décapsulage de puces et à l'imagerie des circuits intégrés qu'elles renferment.
Parmi les calculatrices données figure une
TI-80, et dans une
actualité précédente nous t'annoncions que
TICS Game avait pu correctement retirer, décapsuler et photographier la puce
ROM LH5359 déjà dumpée intégralement.

En ce jour mémorable,
TICS Game vient enfin de décapsuler l'un des plus grands mystères de l'histoire de
Texas Instruments, la mystérieuse puce
Toshiba T6M53A, renfermant donc entre autres le processeur et
16 Kio de
ROM.
En voici ci-contre un modeste aperçu. Nous pouvons noter une inscription dans le quadrant inférieur droit,
J838FM53A
, reprenant donc le suffixe de la référence de la puce.
Pense à visiter la page du projet liée ci-dessous pour un
zoom en pleine définition.